musée du diocèse de lyon

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L'abbé Rozier

un prêtre du siècle des Lumières

 

 

François Rozier, 1734-1793, fut un agronome estimé en son temps pour son œuvre théorique aussi bien que pratique : il eut à plusieurs reprises l'occasion de prouver ses talents de chef d'exploitation, et sa compétence dans l'utilisation de nouvelles méthodes agricoles ; ses publications furent nombreuses : la plus connue, son Cours d'agriculture, connut plusieurs éditions. Onze académies ou sociétés littéraires, seize sociétés d'agriculture l'admirent comme associé ; l'Académie de Lyon le reçut titulaire en 1787. Le socle de son buste, au Parc de la Tête d'Or, porte gravée la dédicace, énigmatique pour bien des passants, « Au Columelle français ». 

 

Mais il fut aussi prêtre, et c'est à ce titre qu'il nous intéresse ici. Après des études secondaires au collège de Villefranche, il reçut en 1751 la tonsure au séminaire Saint-Charles, dont l'esprit était plutôt favorable au jansénisme. Tout en poursuivant à l'Université de Valence, connue pour la faible valeur de ses diplômes, l'obtention de ses grades en théologie, jusqu'au doctorat en 1755, il entra dans les ordres et reçut la prêtrise en 1758. Mais il ne prit pas de ministère, et vécut des revenus de plusieurs bénéfices : une prébende à Saint­-Nizier, une place de chevalier de l'Eglise de Lyon, le prieuré de Nanteuil-le-­Haudouin (Oise), un canonicat honoraire à Saint Paul. Libre de toute obligation sacerdotale, il put se consacrer entièrement à ses chères études. Plusieurs historiens s'en autorisent pour parler à son sujet d'une vocation, sinon absente, du moins fort tiède.

 

Comme beaucoup de prêtres de son temps, il fut franc-maçon, membre de trois loges lyonnaises, et sans doute bien considéré par les Frères, puisqu'il fut chargé de représenter la maçonnerie de Lyon à l'assemblée générale des Loges françaises tenue à Paris en 1773.

En homme « utile », selon le langage du temps, et désirant le bien de ses semblables, il adhéra au mouvement de 1789, qui devait apporter aux hommes le bonheur. La nationalisation des biens du clergé, décrétée dès le 2 novembre 1789, le priva de ses revenus ecclésiastiques, mais un cours public d'agriculture, organisé dans les locaux du Collège de la Trinité, lui fut confié en 1790. Enfin, ayant prêté le serment exigé par la Constitution civile, il fut élu par le corps électoral, le 18 septembre 1791, curé de la nouvelle paroisse Saint-Polycarpe que venaient de créer les autorisés civiles. Et voici que cet homme, qui, toute sa vie, s'était tenu à l'écart du ministère, se révéla un vrai pasteur. Il était connu pour sa charité active, payant de sa personne : le 17 septembre 1788, il avait organisé efficacement les secours aux habitants d'une maison éboulée près de chez lui, sur la Grand-Côte ; avec Jean Paganucci, son confrère de la Loge « La Bienfaisance », il avait, le 24 septembre 1789, créé la Société Philanthropique et avait travaillé à la mettre sur pieds ; sous les bombardements du siège, il allait montrer un grand courage à porter secours dans les maisons effondrées ou incendiées.

 

Ce fut un homme de paix, horrifié de la tournure prise par la Révolution. Le sermon qu'il prononça lors du service funèbre célébré pour les victimes de la journée du 29 mai fut un appel angoissé, « au nom du Dieu vivant, au nom de la chère patrie », à la réconciliation des français et à retrouver dans les principes chrétiens, attaqués par une propagande hostile, les fondements d'une société viable et un esprit de paix qu'il pratiquait pour son compte : son ami l'abbé Duret nous apprend, et son neveu Cochard nous confirme, que Rozier, prêtre assermenté, ouvrait largement son église aux insermentés qui ne savaient où dire leur messe.

 

De sa pensée religieuse, on ne sait presque rien. Il publia pour ses paroissiens un office des vêpres traduit en français, pour lequel il reçut des compliments chaleureux de Montazet. Un sermon sur la mort, composé peu avant la sienne, aurait pu être écrit par un philosophe spiritualiste ou déiste : essentiellement moral, ne faisant que deux allusions plus que vagues à la vie éternelle et au salut. Mais, la veille de sa mort, il salua son ami Bruyset : « Mon vieil ami, nous ne sommes pas destinés à nous revoir dans cette vallée de misères, mais le Père des miséricordes nous ouvrira son sein ». La nuit suivante, une bombe l'écrasait dans son lit, ce qui lui évita sans doute de monter sur l'échafaud pendant la Terreur.

 

Avec Rozier, se vérifie une fois de plus qu'on ne peut s'en tenir aux étiquettes. Hommes des Lumières, certes ; mystique, sûrement pas ; mais rien ne permet de mettre en doute sa foi chrétienne. Prêtre assermenté et donc politique ? Pas davantage : il eut de son ministère une idée authentiquement pastorale. Comme le dit Alphonse de Boissieu, il eût été digne de tenir sa charge « d'une source plus pure » que le corps électoral, mais sa faible culture théologique, sa conviction qu'en prêtant le serment « il serait utile à la religion », sans doute aussi quelque dose de gallicanisme, l'empêchèrent de comprendre que, dans la Constitution civile, c'était l'existence même de l'Eglise qui se trouvait mise en cause. Ils furent nombreux dans ce cas.

 

Henri HOURS

Eglise à Lyon, 1996, n°21