musée du diocèse de lyon

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Cardinal Maurin aux Chefs d’Industrie

du Rhône et de la Loire

1920

 

APPEL

de

SON EMINENCE LE CARDINAL - ARCHEVÊQUE DE LYON

Aux Chefs d'Industrie du Rhône et de la Loire.

______

 

ARCHEVECHE

      DE

    LYON

 

 

 

 

MESSIEURS,

 

 

Je me suis adressé, il y a quelque temps, aux ouvriers catholiques du Rhône et de la Loire pour les inviter à s'unir conformément aux principes de la doctrine sociale de l'Eglise et pour les mettre en garde contre les théories révolutionnaires qui, troublant l'ordre public, sont en même temps si préjudiciables à leurs propres intérêts.

 

C'est aux patrons que je demande aujourd'hui de m'aider dans l'œuvre de réconciliation que j'ai entreprise et qui fait l'objet de mes vœux les plus chers. Tandis que le socialisme agite le brandon de la haine et prêche la lutte des classes, l'Eglise s'applique à faire régner parmi les hommes la concorde et l'amour. La haine est destructrice, la guerre sociale, non moins que l'autre, accumule les ruines ; seule l'union répare, seul l'amour est créateur.

 

Après les années terribles qu'elle vient de traverser, la FRANCE, qui a donné au monde un si bel exemple d'héroïsme et de patience, a plus que jamais besoin de tranquillité et de travail pour entreprendre et mener à bien l'œuvre de reconstitution nationale. Les Evêques occupés hier à maintenir ou à relever les courages et à faire affluer dans les caisses de l'Etat l'or nécessaire à la conduite de la guerre, doivent aujourd'hui mettre leur influence au service des travaux de la paix. Ce n'est que par la production et une production intensive que notre bien-aimé pays pourra sortir du marasme économique et financier qui l'énerve et, en dépit de la victoire, le menace de mort. Or, il ne peut y avoir de production féconde si les divers éléments qui y concourent ne sont, malgré quelques divergences accidentelles d'intérêts, fortement unis entre eux.

 

J'estime. Messieurs, que j'aurais, dans une certaine mesure, contribué à établir cette union si désirable si je parvenais à fonder dans mon diocèse et à asseoir sur des bases solides l'enseignement professionnel à tous les degrés. Lorsque des enfants ou des jeunes gens arrivent sans principes sûrs et sans aucune préparation technique dans des ateliers où les théories subversives sont en honneur et où l'on a si peu de respect pour la religion et la morale, comment ne deviendraient-ils pas la proie facile de ces dangereux meneurs qui veulent conduire la société à la révolution et au chambardement ? Le poison des doctrines antisociales ne tardera pas à accomplir en eux son œuvre délétère surtout s'ils ont eu quelqu'un de ces maîtres qui, on le sait, — tous n'en sont pas là grâce à Dieu — se posent en champions et en propagateurs du bolchévisme.

 

Pour obvier à ce pressant danger, voici le plan que j'ai conçu et que je viens vous soumettre avec le ferme espoir de trouver auprès de vous l'appui nécessaire. Il n'est pas besoin, me semble-t-il, de longues réflexions pour vous convaincre que de sa réalisation dépend, partiellement tout au moins, le salut national et qu'il y va également de l'intérêt de la profession et du vôtre. Je voudrais que, dans nos écoles libres ou patronages des villes industrielles il y eût de petits ateliers où les enfants et les jeunes gens recevraient des leçons de préapprentissage et d'apprentissage. Ce serait, à mon avis, le meilleur des sports. MM. les Curés, avec l'aide des chefs d'industrie, n'auront habituellement aucune peine à trouver de vieux ouvriers chrétiens, aimant et connaissant leur profession, qui, n'étant plus doués des forces requises pour les durs labeurs de l'usine, pourraient cependant, sans trop de fatigue, consacrer chaque semaine quelques heures à la formation des jeunes apprentis et augmenter ainsi très utilement les modiques ressources que leur procurent les retraites ouvrières. Je voudrais, en outre, dans les grandes villes, une, deux ou plusieurs écoles professionnelles inter-paroissiales où serait donné un enseignement plus complet. Enfin, comme couronnement, je suis résolu à créer à LYON une ECOLE DES ARTS ET MÉTIERS où les chefs d'industrie du diocèse et de la région donneraient accès, au moyen de bourses, aux enfants les mieux doués de leurs ouvriers les plus méritants, et où ils recruteraient de futurs contremaîtres et ingénieurs élevés à la lumière de la doctrine sociale catholique, toute faite de justice et de charité, et ayant acquis une valeur professionnelle dûment constatée par un jury que nommeraient la Commission et le Comité de Patronage dont je parlerai tout à l'heure.

 

Telles sont, Messieurs, les grandes lignes du projet qu'il me tarde de pouvoir réaliser. Les catholiques qui seraient tentés de révoquer en doute l'opportunité de cette création et de l'appel de fonds qu'elle nécessite, voudront bien considérer que ce n'est pas à eux que je m'adresse aujourd'hui, mais surtout aux chefs d'industrie, meilleurs juges et plus directement intéressés en la matière. Il s'en trouvera quelques-uns, cependant, même en dehors de cette catégorie, qui n'auront aucune peine à comprendre que tous les éléments d'une société sont solidaires les uns des autres et qu'aucune propriété ne saurait être à l'abri du danger si les idées chères aux communistes continuent à se développer et à se fortifier au sein du monde du travail. Par prudence et charité, tout en réservant la plus large part de leurs aumônes à d'autres œuvres générales de première nécessité, ils jugeront peut-être utile de concourir à l'organisation de l'enseignement professionnel que semble impérieusement réclamer la situation particulièrement critique de notre pays. Leurs offrandes recevront le plus reconnaissant accueil. Cette fois, encore, j'ai une confiance entière dans la clairvoyance et la générosité de mes diocésains. Est-ce illusion de ma part ? Je ne le pense pas. J'espère, avec la collaboration de la Direction des œuvres, pouvoir prochainement constituer une Commission composée d'hommes dont la compétence égale le dévouement et qui seront la cheville ouvrière de l'organisation projetée. A cette garantie s'ajoutera celle du Comité de Patronage des chefs d'industrie nous ayant prêté leur concours et donné leur adhésion.

 

Donc, en avant pour la prospérité de l'industrie, le relèvement de la FRANCE et que le bon Dieu bénisse nos projets et nos efforts.

 

Recevez, Messieurs, avec l'assurance de mon religieux dévouement, l'expression anticipée de ma vive gratitude.

 

‡ L.-J., card. MAURIN

Archevêque de Lyon.

 

 

SOURCE : Semaine religieuse du diocèse de Lyon, 1920, pp.83-85